Football (Ligue 1, 21e journée) Rennes / Bordeaux (6-0) : Comme un fumet de crêpe à l'andouille...

On espérait un électrochoc, on a surtout pris la foudre puis assisté à une mort clinique. En perdition et à un niveau de jeu d'une indigence rarement atteinte cette saison, les Girondins ont fait de la figuration au Rhoazon, y encaissant leur plus lourde claque en championnat depuis plus de 35 ans. Une kyrielle d'erreurs individuelles a précipité la chute d'un groupe qui mentalement ne répond plus, file tout droit vers la Ligue 2 et à qui la mise à l'écart récente de certains cadres semble avoir enlevé les derniers repères, au lieu de le responsabiliser ou le doper. La seule certitude qui ressort de ce carnage est que cette équipe - dans sa configuration actuelle - n'a en aucune façon les armes pour éviter un sort presque scellé d'avance à l'heure qu'il est. Il faudra donc soit réviser la copie par rapport à la gestion du groupe ou changer une énième fois de lampiste si tant est que l'entraîneur soit le bon fusible, soit réussir un mercato mirifique au cours de la quinzaine à venir et dénicher les pépites qui seront capables de bonifier ce groupe d'au moins 100%. Faute de quoi...

On croyait déjà avoir tout vécu et enduré sur la phase aller, et l'on se disait que la nouvelle année s'ouvrirait sur des horizons enfin plus souriants. On croyait que la montée au créneau du président et son coup de poing sur la table allaient réveiller les consciences ou peut-être changer le plomb en or et les promesses en actes...On croyait que Koscielny et son aura, à ce qu'on avait pu lire ou entendre ici et là, empêchaient quelques jeunes talents prometteurs d'éclore et de prendre de l'assurance dans cette équipe, même si ladite aura et le franc-parler sobre de l'intéressé avaient été plutôt précieux la saison dernière dans les moments brûlants du printemps, lorsque personne ne se bousculait au portillon pour aller dire leur fait aux brebis galeuses ou aux ramiers de l'équipe. On croyait enfin qu'après l'affront marseillais, la réaction d'orgueil viendrait illico et de l'intérieur, comme la colère ou l'amour, même dans l'antre de Bretons certes supérieurs sur le papier, mais dont la forme actuelle était loin de ressembler à la flambée de l'automne. On croyait surtout que Bordeaux, au pied du mur, serait capable, faute de talent avéré et unanimement reconnu, de sortir au moins ses "cojones" pour enrayer la chute libre et de gagner en souffrant et avec le coup de pouce de la chance, comme à St Etienne et à Troyes. On était prêt à croire tout cela, mais on demandait tout de même à voir, parce que même en période de voeux, on ne fait plus confiance aux Bisounours ni à Nostradamus depuis longtemps. Et on a vu...

Encéphalogramme plat et fondation Abbé Pierre à l'honneur

Dans l'humide froidure bretonne d'un Roazhon Park "jaugé" à 5000 courageux ayant bravé l'apéro et le rôti du dimanche pour satisfaire les desiderata asiatiques d'une Ligue 1 que - c'est connu - tout l'Extrême Orient nous envie, Bordeaux a proposé en 90 minutes...- pardon : une heure seulement, puisque malgré un tangage certain et de lourdes alertes au cours de la première demi-heure, le frêle esquif girondin n'avait miraculeusement toujours pas été envoyé par le fond à la demi-heure de jeu par des Rennais maladroits ou malchanceux - un panel assez complet de toutes les faiblesses affichées depuis le mois d'août et le relooking de son effectif à l'été. Une heure de jeu pour en remettre une couche donc, et rappeler aux amnésiques tout ce qui n'allait pas dans cette équipe en 2021 et qui continue de ne pas aller en 2022. On commence par le commencement : une fragilité qu'on va finir par qualifier de congénitale sur tous les coups de pied arrêtés, refrain hélas connu (que l'on fredonna notamment sur les 2 premiers buts et sur un autre refusé à Laborde pour un hors-jeu préalable suite au coup-franc de Bourigeaud consécutif à l'expulsion de Sissokho, 51e), une incapacité à contrôler les courses d'adversaires partis de loin (que soulignèrent le but de Truffert et le second de Guirassy) le plus souvent sur des ballons perdus par les Girondins dans le camp adverse, un manque patent de rythme et de présence physique face à un adversaire qui joua deux fois plus vite qu'eux (à l'image d'un Niang physiquement toujours hors du coup) et une faculté à se compliquer la vie (sur des relances qui auraient dû être simples mais se transformèrent en autant de cadeaux, on avait vu la même chose contre Marseille ou Lille dernièrement) qui confine à une générosité sans égal en Ligue 1, à tel point qu'on se demande si les Girondins, qui étrennaient leur maillot Away frappé de leur nouveau sponsor "Coeur Marine et Blanc" n'auraient pas dû y imprimer plutôt le nom d'une autre fondation, celle de l'abbé Pierre, plus en accord avec leur magnanimité du jour. Avec 50 buts désormais concédés en 21 matches, record européen des 5 championnats majeurs (hormis le promu et actuel lanterne rouge de Bundesliga), ils savent désormais quel est le chantier principal du futur immédiat - oh, on parle juste de la semaine à venir, on ne risque pas de se projeter plus loin, à chaque jour suffit sa peine -, alors que Strasbourg, autre équipe à les avoir ridiculisés il y a un mois et demi à la Meinau et qu'ils n'ont jamais battue au Matmut Atlantique, arrive dimanche prochain pour un match aux allures de quitte ou double. Pour les joueurs, qui ont de nouveau eu droit à une conduite de Grenoble promise par leur président après la rencontre, mais plus encore pour Petkovic, désormais sur un siège éjectable (une rumeur insistante fait notamment état d'une possible venue de Joao Sacramento, l'ancien adjoint de Galtier à Lille puis de Mourinho à Tottenham, qui n'a jamais été footballeur professionnel, seulement analyste vidéo). Mais on le sait bien, le football mène à tout quand les relations opèrent.

30 minutes, puis le chaos

Dans le XI de départ des Girondins, Vladimir Petkovic, sans surprise, n'avait pas convoqué Otavio, mais pas non plus Koscielny, se rangeant donc à la décision de sa direction ni Zerkane, tandis que Briand, Onana, Mensah et Traoré, pour raisons diverses, manquaient également à l'appel. En face, comme prévu, Genesio alignait une triplette Laborde-Terrier-Bourigeaud dont on ne savait pas encore qu'elle allait se régaler à peu près autant que l'avait fait le quatuor alsacien Thomasson-Gameiro-Liénard-Ajorque 6 semaines plus tôt en Alsace et faire oublier, en 60 minutes, la disette des 5 matches précédents et la stérilité offensive passagère des 3 garçons susnommés. Comme quoi, il suffit parfois de peu de choses...A cette animation qui apparut très vite bien huilée s'ajoutaient - circonstance aggravante - les montées incessantes des deux latéraux, Meling sur le côté gauche et surtout le jeune Assignon sur le côté droit dont on a fini par se demander sur cette rencontre et surtout sur la 1ere mi-temps s'il a joué latéral comme prévu ou...ailier droit. Très vite aussi, les Bretons s'assuraient le monopole du ballon et la première alerte ne tardait pas, sous la forme d'un centre en retrait de Doku, démarqué par Assignon, et d'une reprise de Terrier déviée en corner par Gregersen (6e), plutôt bon en première période jusqu'à sa gaffe sur le 3e but rennais. Puis c'est Laborde, sur un corner de Bourigeaud de la gauche, qui se libérait du marquage de Mexer et décroisait sa tête au ras de la barre de Costil (23e), après s'être heurté par deux fois au capitaine bordelais sur une louche d'Assignon par-dessus la défense (13e), mais signalé en position de hors-jeu au départ de l'action. Les Girondins, qui perdaient régulièrement le ballon à la médiane et qui, en l'absence d'Otavio, le seul à même de couper les transmissions, se laissaient dévorer par le travail de Martin et Santamaria, avaient bien du mal à aligner 3 passes. Obligés d'attendre la 28e minute pour que le gardien turc du SRFC Alemdar touche pour la première fois le ballon, ils allaient finir par céder sur un corner de la gauche, mal maîtrisé, qui remettait Bourigeaud en position de centrer, absolument seul sur son aile. Le capitaine rennais voyait son ballon repoussé de la tête par Mexer qui gagnait son duel...mais pas Lacoux sur le 2e ballon devant Martin qui n'avait plus qu'à trouver Terrier sur la ligne des 5,50 mètres pour un intérieur du pied imparable (1-0, 32e). Venait ensuite le premier carton jaune infligé injustement à Issouf Sissokho pour une faute sur Laborde involontaire et qu'il ne pouvait matériellement pas voir arriver puisque l'ex-bordelais avait surgi dans son dos, sur un contrôle de balle anodin au milieu du terrain, décision qui devait être lourde de conséquences (38e). Puis c'est l'autre milieu récupérateur, Tom Lacoux, qui héritait à son tour de la même sanction pour une intervention en retard, mais pas plus volontaire que celle de son coéquipier et un contact avec Martin, aux conséquences immédiatement funestes. Le coup-franc dans l'axe à 22 mètres était en effet chirurgicalement converti en but par Bourigeaud d'une frappe enroulée au ras du montant contournant le mur girondin et laissant Costil pétrifié (2-0, 42e), son premier coup-franc victorieux depuis...117 matches et sa dernière réussite contre Strasbourg. On vous l'a dit, c'était bel et bien la journée des remises en confiance et des actes de charité au Roazhon...Mais les Girondins n'allaient pas s'arrêter là, malheureusement. Car en ce dimanche à Rennes, on avait décidé de raser gratis.

Le feu de paille, puis le carnage

S'ils revenaient sur la pelouse avec d'autres intentions après les citrons et la probable remontée de bretelles de Petkovic, le feu de paille n'allait entretenir l'espoir que 4 minutes, micro-révolte matérialisée par un premier corner bordelais tiré par Adli sans succès. Car immédiatement intervenait l'un des faits majeurs de la rencontre, avec ce tacle de Sissokho dont on n'est même pas sûr qu'il ait touché Martin mais sanctionné avec précipitation et sans recours au VAR par M.Dechepy, loin d'être irréprochable sur ce match mais décidé visiblement à ne faire aucun cadeau aux bordelais, à l'image du jaune infligé à Adli dans la foulée pour protestation. L'expulsion inévitable du jeune Malien (51e) ajoutait au désarroi des bordelais qui n'avaient nul besoin de cet uppercut supplémentaire à cet instant du match. Déjà déséquilibré (67% de possession à la mi-temps pour les rennais, 5 corners à 0), celui-ci devenait alors à sens unique en faveur des Rouge et Noir. Sur le coup-franc qui suivait, frappé au cordeau par Bourigeaud, Laborde surgissait et décroisait victorieusement sa tête au ras du poteau...mais sa réussite était logiquement invalidée pour un hors-jeu incontestable. Ce n'était que partie remise...car ç'aurait bien été la première fois que le Landais ne marque pas contre son ancien club, quel que soit le maillot qu'il porte depuis qu'on l'a chassé du Haillan. Après un coup de tête de Martin au ras du poteau d'un Costil battu au terme d'un énième corner mettant sa défense au supplice (57e), puis les entrées en jeu de Fransergio et d'Elis à la place de Lacoux et d'un Niang inexistant face à son ancienne équipe, la plus grosse boulette de l'après-midi survenait quand Costil effectuait un 6 mètres sur Gregersen. Mais le Norvégien manquait inexplicablement son contrôle, beaucoup trop long. C'était ensuite un jeu d'enfant pour Doku que de récupérer le ballon d'un double contact, puis de lancer Laborde complètement seul et à bout portant qui glissait le ballon entre les jambes du capitaine bordelais (3-0, 61e). Son 10e but de la saison, après 7 rencontres consécutives de silence. La fondation Abbé Pierre continuait ses actions caritatives et le public breton était...aux anges. A partir de cet instant, il apparut évident que la fin de rencontre allait être très longue pour les Marine et Blanc.  Restait un sketch inédit à découvrir, celui des remplaçants. Il arrivait d'abord par l'entremise de Truffert et Majer, entrés en jeu peu auparavant. Sur un ballon perdu par Adli à 80 mètres du but bordelais, le contre partait à toute allure, Laborde trouvait Bourigeaud sur la gauche qui centrait sur Majer, seul au second poteau dans la surface, lequel servait en retrait Truffert pour un plat du pied ponctuant une action d'école (4-0, 69e). Dans la foulée, Oudin héritait d'un nouveau jaune pour avoir réclamé (peut-être pas à tort) une faute sur Adli au départ de l'action auprès du très zélé M.Dechepy. Puis Gregersen réparait en partie sa bévue en suppléant Costil sur la ligne, de la tête, après un lob de ce même Truffert (71e). Mais on sentait que la défense bordelaise, malgré l'entrée en jeu de Fransergio censée stabiliser quelque peu le milieu de terrain, pouvait céder à tout instant. Majer, laissé libre de tout marquage, s'y essayait à son tour et prenait tout son temps pour enrouler sa frappe du gauche à l'entrée de la surface, que Costil, d'une belle horizontale, allait chercher au ras de son poteau gauche et déviait en corner (80e). Josh Maja, le revenant, théoriquement écarté du groupe mais tout de même sollicité par Petkovic (vous nous suivez toujours, n'est-ce pas ?), faisait sa première apparition de la saison, un retour sympathique mais hélas anecdotique vu le contexte, juste pour offrir à Dilrosun l'occasion de l'unique frappe cadrée girondine du match, du pied gauche et de 20 mètres, qu'Alemdar préféra repousser des deux poings (84e). Puis c'était au tour de l'autre remplaçant, le grand Serhou Guirassy, de faire parler sa puissance et d'apporter son écot. Laborde, non content de marquer, se muait en passeur et talonnait pour son coéquipier qui résistait au retour trop tardif de Gregersen et trouvait le soupirail de Costil sur le côté fermé, le ballon étant légèrement dévié au départ (5-0, 89e). Et ce même Guirassy clôturait le bal breton (qui avait duré 60 minutes tout pile, de la 32e à la 92e minute soit un but toutes les dix minutes) en se trouvant au départ et à la conclusion de l'action : parti d'abord en solo balle au pied sur plus de 15 mètres sans être attaqué, il se trouvait à point nommé pour conclure l'action prolongée côté gauche par Diouf et Laborde d'un plat du pied au point de penalty, comme à la foire (6-0, 90e +2). Le compte était bon pour le Stade rennais : 14 tirs au but dont 11 cadrés, pour 6 buts, et le 3e feu d'artifice de la saison, après la démonstration à St Etienne début décembre qui avait coûté sa place au coach forézien Claude Puel (0-5) et la promenade de santé face au promu clermontois (6-0, déjà) le 22 septembre. De quoi largement restaurer, en un seul match un seul, son goal-average légèrement écorné par les 4 courtes défaites du mois écoulé.

La plus grosse depuis 36 ans

Il était grand temps de fermer le ban et d'arrêter la boucherie, même si les Girondins n'en étaient hélas pas à leur premier tournis du genre cette saison, après les fessées reçues à Nice (4-0), Strasbourg (5-2) ou Monaco (3-0). Avec 50 buts au compteur, ils confirment leur triste titre d'équipe la plus perméable des 5 championnats européens majeurs, qu'ils détiennent déjà depuis la soirée strasbourgeoise de début décembre. C'est aussi leur plus large naufrage depuis plus de trois décennies, même si on n'a pas oublié quelques volées de bois vert reçues au Parc des Princes fin septembre 2017 (6-2) ou à Nice deux ans plus tôt (6-1), déjà à dix contre onze ce soir-là (expulsion de Crivelli), voire au stade Marcel Saupin de Nantes (6-0) mais sans gardien de but de métier (Pantelic étant suspendu) avec Alain Giresse puis Marius Trésor dans la cage girondine, un soir de mai 1982... Il y avait aussi eu la torgnole reçue à Parme (6-0 également) le 16 mars 1999, mais c'était en coupe de l'UEFA. En Ligue 1 il faut remonter à un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître, et à cette infâmie monégasque d'il y a presque 36 ans jour pour jour (9-0) le 18 janvier 1986 à Louis II. Pour revenir au présent et ranger les souvenirs qui fâchent, compte tenu de la victoire capitale de Metz à Reims (1-0) et du nul de Lorient contre Angers (0-0) un peu plus tard dans l'après-midi de ce dimanche, les Girondins sont aujourd'hui 19es et relégables, avec St Etienne, battu la veille chez lui par Lens (1-2). Une solide tradition bretonne révèle que la fameuse andouille, originaire de Guéméné, plus au sud de la Bretagne, compte de nombreux adeptes en Ille-et-Vilaine, surtout lorsqu'on la marie à la crêpe, haute spécialité locale. Malgré le peu de public et les restaurants tous fermés aux abords du stade, c'est justement cet étrange parfum qui revenait à nos narines affranchies de Covid en ce triste après-midi de janvier, provoquant - curieusement - en nous un haut-le coeur que le président Gérard Lopez, présent à Rennes, a certainement dû partager...

[Par Christophe Monzie, envoyé spécial à Rennes, photos C.M. et Loïc Cousin, ARL]

Ecoutez les réactions d'après-match au micro de Christophe Monzie qui commentait cette rencontre en direct intégral du Roazhon Park à Rennes avec Laurent Brun. A noter qu'excepté Vladimir Petkovic, aucun autre représentant du FCGB (joueur ou dirigeant) ne s'est présenté devant les médias après la rencontre.

Réaction de Benjamin BOURIGEAUD, capitaine et milieu de terrain, auteur du 2e but sur coup-franc.

Réaction de Gaétan LABORDE, attaquant et ex-Girondin, auteur du 3e but.

Réaction de Vladimir PETKOVIC, l'entraîneur du FC Girondins de Bordeaux.

Réaction de Martin TERRIER, attaquant, auteur de l'ouverture du score (32e).

Réaction de Bruno GENESIO, l'entraîneur du Stade Rennais.