Football (33e journée - Ligue 1) | Bernard Lions : « on va vivre un match des morts-vivants entre les bordelais et les stéphanois »


20 avril 2022

Ce mercredi soir (19h), deux identités du football français vont s'affronter pour un match qui pourrait sauver leurs saisons. D'un côté les Girondins de Bordeaux qui ont pris une claque face à l'OL, de l'autre l'ASSE qui a battu Brest grâce notamment à un arrêt décisif de Paul Bernardoni. Interview avec Bernard Lions, journaliste au quotidien L'Equipe. 

ARL : Comment vont les troupes du côté de l'AS Saint-Etienne ?

Bernard Lions : On va vivre ce mercredi soir la soirée des morts-vivants entre une équipe bordelaise qui va un petit peu mieux, et une équipe stéphanoise qui va un petit peu moins bien. Elle sort quand même d’un cataclysme avec une semaine avec dix buts encaissés, c’est énormissime. Ils auraient même en encaisser beaucoup plus dans la défaite face à Marseille. Il y a eu ensuite le naufrage à Lorient où ils en ont pris six. C’est une équipe qui est revenue soudainement sur terre, après avoir cravaché pendant des mois et des mois pour recoller au classement. Ils n’avaient que 12 points à la trêve, c’était pratiquement synonyme de relégation en Ligue 2. Ils sont revenus au classement et de façon assez inexplicable, ils se sont relâchés, et ils se retrouvent de nouveau en difficulté, dans le viseur des Girondins de Bordeaux

Est-ce que vous pensez que ce climat d'incertitude au tour du club de l'ASSE, du point actionnariat, le club est en vente depuis un an. Est-ce que vous pensez que ce climat est propice pour jouer le maintien ?

On fête les un an jour pour jour de la remise en vente officielle de l’AS Saint-Etienne, sans que rien ne se soit passé. Entretemps, les Girondins de Bordeaux ont été vendus en l’espace de trois mois. C’est cette épée de Damoclès qui est suspendue sur la tête du club, les salariés et les joueurs. Ça plombe l’ambiance, ça crispe un peu aussi les supporters stéphanois qui en ont soupé de cette gouvernance un peu ubuesque. Il y a effectivement le problème contractuel car une grande majorité de l’effectif, presque l’intégralité des cadres, se retrouve en fin de contrat en juin, y compris Pascal Dupraz. Alors, sur cette gestion des contrats, je ne pense pas que ce soit forcément un inconvénient pour le club, parce que les joueurs aussi vont courir et vont jouer pour leur contrat. Ils vont tous se retrouver au chômage au 1er juillet, et ils ont tout intérêt à bien finir la saison, à laisser un club mythique comme l’AS Saint-Etienne en Ligue 1, pour essayer de retrouver un club derrière. Après, cette histoire de non-vente plombe l’ambiance autour du club.

« Cette équipe de l'ASSE s’est cru trop vite arrivée, un peu trop vite sauvée, alors qu’en fait ils étaient arrivés à recoller avec la zone de non-relégation » - Bernard Lions (journaliste chez L'Equipe)

Est-ce que le match contre Bordeaux a été ciblé par l'ASSE ?

Le match contre Bordeaux est ciblé. Les stéphanois étaient sur une bonne série, ils avaient pris l’habitude de battre des concurrents directs, que ce soit Metz ou Angers. Et puis il y a eu cette espèce d’excès de confiance avant le match face à Troyes, où Pascal Dupraz avait annoncé qu’il espérait, pour le dernier match de la saison à domicile face à Reims, fêter le maintien dans la tribune avec les kops. Ils se sont crus arrivés trop vite, les stéphanois. Ils ont fait match nul face à Troyes, et la machine s’est soudain enrayée. Il y a un impératif de points sur les deux prochains matches : ils ont battu Brest samedi, et surtout il ne faut ne pas perdre à Bordeaux.

La saison prochaine, il y aura quatre descentes avec la nouvelle réglementation avec une Ligue 1 à 18 clubs...

L’année prochaine, il y a quatre descentes, et c’est pour ça que je mets en garde. Je souhaite de tout cœur que ces deux clubs se maintiennent, avec tout le respect que j’ai pour Clermont, Metz et les autres équipes qui se retrouvent à la lutte pour le maintien. Mais au moment où on s’apprête à resserrer l’élite. Dans deux ans, on aura une Ligue 1 à 18 clubs, ça paraît impensable qu’il n’y ait pas les clubs historiques que sont les Girondins de Bordeaux, Saint-Etienne, et Nantes. Cela me paraîtrait être un très mauvais signal donné à la compétitivité de la Ligue 1. Et en même temps, ça poserait encore des problèmes pour la saison prochaine parce que vous savez, à force de flirter avec la relégation, un jour vous finissez par vous casser la figure. C’est exactement ce qui s’est passé avec le Toulouse Football Club. Le TFC, à force de jouer avec ce maintien, ils ont fini par descendre. Bordeaux et l'ASSE, tu sens bien que si ça continue comme ça, à un moment donné ils vont finir par y aller. Ces clubs sont tellement dimensionnés pour la Ligue 1 – je pense au centre de formation, au stade – qu’un navire amiral, quand il coule, il coule profondément et pour le remettre à flot ensuite, c’est extrêmement compliqué. Là, on en est presque à parler à des dangers de mort pour ces deux clubs, s’ils venaient à descendre [...] Ce sont des chefs-d’œuvre en péril. Ça me fait de la peine, mais j’ai aussi de la colère parce que je continue à suivre l’actualité des Girondins de Bordeaux, et il y a quand même énormément de boulettes, d’erreurs de gestion incroyables, de gestions de salaires, de contrats, de politique de formation, de choix des hommes. Des choix incompréhensibles. C’est un peu la même chose à Saint-Etienne. La peine, oui, mais la colère aussi.

Vous avez suivi les deux clubs dans votre carrière journalistique. Ca vous fait quoi de voir les Girondins et l'ASSE en bas du tableau ?

Ce sont mes deux clubs de cœur, je ne m’en suis jamais caché. J’ai suivi pendant de très nombreuses années les Girondins de Bordeaux, dans les années fastes et moins fastes. Je suis partagé entre deux sentiments. J’ai beaucoup de tristesse déjà, mais aussi de la colère. De la tristesse parce que ce sont deux fleurons du football français, deux équipes qui, il n’y a pas si longtemps que ça. Saint-Etienne était en Ligue Europa il y a trois ans, Bordeaux était Champion de France il y a une dizaine d’années avec des joueurs et une équipe formidable. Il y a de la peine donc, mais aussi de la colère. Ce n’est pas un accident qui se produit cette année du côté de Bordeaux et du côté de Saint-Etienne. Cela fait plusieurs années que ces deux clubs font un peu tout et n’importe quoi, qu’ils arrivent à bout de souffle. Vous n’avez qu’à voir ce qui s’est passé à Bordeaux, on a changé d’entraineur assez souvent, avec des profils totalement différents : jeunes, expérimentés, locaux, étrangers, français, franchouillards, etc… Cela ne fonctionne pas, et cela veut dire que le mal est profond. Ces deux clubs ont été un peu déracinés. On pensait que les racines étaient profondément ancrées au Haillan, et pareil à Saint-Etienne. J’ose espérer que ces deux clubs s’en sortiront, mais s’ils s’en sortent, il faut vraiment qu’à la fin de saison on remette toutes les cartes à plat, qu’on fasse une autocritique, et qu’on essaye de repartir différemment, et pour de bon dans le bon sens.

Entretien avec Bernard Lions, journaliste au quotidien L'Equipe :

 

[Par Dorian Malvesin, © photo BL]