
02 juin 2023
Un incommensurable gâchis et une fin de saison en eau de boudin. Voilà ce qu'il ressortira de cette ultime soirée de Ligue 2 qui aurait dû être une fête, quelle qu'en fût l'issue sportive, et une communion entre les joueurs et les supporters dans un stade à guichets fermés. Fermés certes, mais pas étanches aux imbéciles, force est de le constater. Par la faute de l'un d'eux, il ne restera de cette soirée bouillante - que les nuages annonçaient même orageuse (on aurait dû croire à ce présage...) - qu'un goût amer dans la bouche, une colère sourde mêlée à un sentiment de désolation de constater qu'une nouvelle fois, un passé qu'on croyait révolu est remonté à la surface. Après l'impardonnable précédent de la saison dernière avec Benoît Costil à la mi-temps d'un Bordeaux-Montpellier de triste mémoire, après un Bordeaux / Nîmes interrompu 25 minutes en décembre 2019 par l'envahissement du terrain par les Ultras avant que Maja ne signe un triplé (6-0 au final), voilà en effet les Girondins replongés dans des affres très éloignés des considérations sportives, de l'élan populaire, des conjectures et hypothèses diverses et variées qui avaient jalonné toute la semaine précédant ce match de la dernière chance.
Il aura suffi d'un grain de sable dans la machine, en fait, celui de l'ouverture du score par les visiteurs (cas de figure que peu de supporters bordelais voulaient envisager) pour que tout bascule. Déjà à la 6e minute, sur un contre rondement mené par Buadès côté droit, on se demande comment Soumano avait fait son compte pour se prendre les pieds dans le tapis et frapper juste à côté du but, seul face à Poussin. Pourtant, les Girondins avaient pris le match par le bon bout, imprimant un pressing très haut aux Aveyronnais tout de suite mis sur le grill quand un corner de Michelin (préféré à Bokélé sur le flanc droit) trouvait Bakwa dont la reprise trop molle faisait briller Mpasi (3e). Partie sur les chapeaux de roue, la rencontre, plutôt débridée, était plaisante à suivre, Maja ne trouvant pas la cible en croisant trop son tir après avori effacé deux adversaires (10e). Sur un nouveau corner de Michelin, Barbet au second poteau, qui se gênait avec Gregersen, ne se montrait pas plus précis de la tête (13e), mais le danger revenait souvent sur le but ruthénois. Puis sur un nouveau centre-tir fuyant de ce même Michelin décidément très en vue, Mpasi du bout du gant déviait le ballon que convoitait Bakwa (17e). Mais le second contre du RAF allait être fatal quand Corredor, une première fois contrarié par un retour désespéré de Barbet, récupérait quand même le ballon devant un Michelin transformé en simple spectateur pour le déposer au second poteau sur le pied de Lucas Buadès, libre de tout marquage puisque Nsimba était à cinq mètres de lui, dont la volée croisée et sans angle du pied droit passait entre les jambes de Poussin (0-1, 22e). Coup de froid sur le Matmut, d'autant qu'à ce moment là, Le Havre menait déjà contre Dijon (1-0) et Metz n'avait pas encore trouvé la faille contre Bastia, mais comptait donc, de fait, un point de plus que les Marine et Blanc. Mais il restait beaucoup de temps à jouer, ou plutôt, il aurait dû rester beaucoup de temps...Le coup de froid laissait en effet la place au coup de chaud quand Buadès, le buteur ruthénois, allait célébrer son but au point de corner, comme le font beaucoup de joueurs dans les compétitions de haut niveau, puis devant la caméra placée près du but de Poussin, trop près sans doute d'un Virage Sud en fusion depuis plus d'une heure déjà.
Du sportif au fait divers
23 minutes, pas davantage. A cet instant, c'en était déjà fini de la fête espérée et même du football. Le sportif laissait la place au fait divers. Un individu parvenait alors à franchir la barrière de la tribune (il est vrai pas très haute) et accéder à la pelouse pour venir invectiver le buteur en question et tenter de le pousser des deux mains, rien de plus. Les images, formelles, prouvent qu'en aucun cas et malgré sa colère manifeste, le supporter n'a tenté de le frapper au visage ni de lui donner un coup de poing. Il importera donc lundi que la commission de discipline s'interroge sur la définition exacte du terme "agression" qui fut utilisé ensuite pendant toute la soirée par la plupart des médias... Voilà pour un premier point. Ensuite, l'individu en question, qui n'avait certes pas à se trouver à cet endroit, doit être tombé tout petit comme Obélix dans la potion magique et disposer de ce fait d'une force herculéenne pour faire choir, d'une simple...poussette, pas moins de trois joueurs ruthénois sur la pelouse, dont la chute n'a d'ailleurs pas immédiatement résulté de son geste. Même Mike Tyson n'aurait pas fait aussi fort. et ce n'est pas Buadès qui fut touché par l'évadé du virage, mais bien le remplaçant Deprès, portant un chasuble, un troisième homme - en l'occurrence l'attaquant Wilitty Younoussa - venant s'intercaler entre ses coéquipiers avant "d'accompagner" Buadès dans sa chute "à retardement" , ponctuant celle-ci d'un rictus (de douleur ou de malice ?) qui laisse pour le moins perplexe, les images le montrent tout aussi clairement. Voilà pour le second point, aussi important que le premier, et que les Girondins auront peut-être intérêt à invoquer dans leur défense ce lundi en commission de discipline. Laquelle se remémorera peut-être alors le fameux sketch de Raymond Devos, "le savoir-choir", qui semble être devenu un art consommé au sein du RAF, du moins sur ce coup-là.
Pas si tranché que ça...
Car force est de constater qu'hormis la faute initiale des services de sécurité à la vigilance desquels cet individu a échappé, tout le reste de la scène montre surtout un numéro d'acteurs, par des joueurs peut-être pas aussi innocents qu'ils en avaient l'air. Soyons clairs : on ne légitime pas la violence initiale ni l'intrusion de cet energumène, en aucun cas pardonnables, on dit juste qu'au vu des images, leur attitude a paru surjouée à beaucoup. En attendant, Buadès, blessé ou pas, commotionné ou non (et si oui, sans doute davantage par la chute de son coéquipier Younoussa sur lui que par la poussette en question), se retrouva sur le gazon plusieurs minutes sans avoir manifestement été frappé, avant de regagner le dernier le vestiaire visiteur sur ses deux jambes et de passer un certain temps en observation à l'hôpital de Bordeaux, pour une chute de toute façon beaucoup moins rude que s'il avait subi une demi-douzaine de tacles dans le feu de la rencontre. On s'étonnera aussi que le diagnostic de son état de choc ait été d'abord rendu par le médecin urgentiste du SAMU présent sur place qui possédait à l'évidence moins d'élements que celui du club de Rodez, même si le milieu de terrain du RAF fut vite de retour parmi ses coéquipiers, comme le confirma plus tard Thomas Jacquemier (écoutez sa réaction ci-dessous). Et que ce soit son diagnostic, rendu dans l'urgence avec si peu d'élements, qui ait servi de base à la décision d'arrêter la rencontre. L'arbitre M.Rainville décida en tout cas d'appliquer le règlement et d'interrompre le match en s'appuyant sur ce que l'on savait officiellement à cet instant de la soirée, après avoir consulté le délégué et sur ordre du préfet, et ceci après 45 minutes jusqu'à ce que l'arrêt définitif soit prononcé, comme il l'expliqua peu après devant les médias, la raison invoquée étant justement la commotion cérébrale de Buadès. Au vu des images là encore, on a peine à croire au lien de causalité et au diagnostic. C'est un peu comme si l'entorse d'une cheville entraînait un arrêt cardiaque ou une cécité provisoire...Cependant, il faut croire que le mal qui gangrène le foot français (après les incidents à St Etienne, Nice, Lyon - pour ne citer que les plus récents - et même désormais en...amont des rencontres et en dehors des stades, comme ce vendredi soir les incidents à Ajaccio avant ACA / OM) est réellement profond puisque deux autres matches de cette ultime journée de Ligue 2, à Nîmes en première mi-temps, puis au Havre en toute fin de seconde (envahissement du terrain et refus des Dijonnais de revenir sur la pelouse), furent également interrompus plusieurs minutes, l'arbitre sifflant même la fin du match au stade Océane alors que seulement l'équipe du Havre était sur le terrain...Un triste record pour une dernière journée de championnat, où il semble fort qu'une partie de pseudo-supporters, quelle que soit leur localisation géographique, aient du mal à accepter le verdict sportif qui sanctionne une compétition pourtant longue de dix mois, quand il ne s'agit pas de rancoeurs plus ancestrales ou de représailles programmées... Ceci posé, il sera peut-être bon que la Commission de discipline compare ce qui doit l'être, ne soit pas amnésique, sache entendre la défense des Girondins, vite catalogués comme seuls fautifs dans une affaire pas aussi tranchée qu'il n'y paraît, et ne prononce pas à leur endroit une sanction plus sévère que celle qui suivit les incidents de Nice / Marseille en août 2021 à l'Allianz Riviera, beaucoup plus graves à nos yeux, mettant bien plus en péril l'intégrité physique des joueurs (une bouteille lancée à la face d'un joueur - ou d'un arbitre, car le cas s'est aussi produit en décembre 2021 dans un match amateur de Régional 1 à Cambrai qui fut arrêté - reste plus dangereuse qu'une poussette qui n'a même pas touché la personne visée) et ayant impliqué plusieurs spectateurs descendus sur le terrain avec l'intention manifeste d'en découdre. Rappelons cependant que la rencontre fut donnée à rejouer à huis clos sur terrain neutre et que Nice écopa d'un point de pénalité. Si la sanction était identique, rejouer le match ne changerait rien au sort des Girondins, à qui il manquerait un point, quelle que soit l'ampleur de leur eventuelle victoire, pour coiffer Metz au goal-average et décrocher l'accessit, comme il leur manqua un point l'an passé au final pour remplacer St Etienne dans le barrage de maintien contre l'AJA...Ce match rejoué n'aurait de réelle importance sportive que pour Rodez, condamné à l'emporter pour ne pas descendre.
Bordeaux risque gros
Pour les Girondins en tout cas, ce nouveau dérapage de leurs supporters, ou du moins, de l'un de leurs membres (comme souvent, il s'agit de cas isolés, mais comme toujours, cela suffit à gâcher la joie de la majorité - 42 000 personnes ce vendredi soir, plus grosse affluence de la saison - qui sait accepter, elle, TOUTES les règles du jeu) risque de coûter cher au club. L'éventail des sanctions est large, mais on ne serait pas étonné que Bordeaux soit déclaré perdant sur tapis vert, et/ou qu'il soit sanctionné de matches à huis clos, voire d'un retrait de points comme cela est arrivé à l'ASSE la saison passée au terme d'un barrage de maintien houleux à Geoffroy Guichard. Une source proche du club indiquait pourtant, après la rencontre, que le FCGB (et le président Lopez l'a confirmé devant les médias dans une conférence de presse on ne peut plus laconique qui n'a pas excédé la minute 30...) comptait porter plainte contre l'énergumène en question, et le club entendait bien "faire valoir ses droits" à l'occasion de cet incident qui sera jugé ce lundi 5 juin par la Commission de discipline de la LFP. Le président de Rodez, Pierre-Olivier Murat, comme ses joueurs (écoutez ci-dessous la réaction de Bradlay Danger le capitaine) ne se sont pas dits opposés à rejouer la rencontre. Sauf que cet incident sans précédent survenant à la dernière journée de la saison, avec de multiples enjeux pour la montée comme pour la descente où pas moins de 6 équipes étaient concernées au coup d'envoi, ne manquerait pas de poser un problème d'éthique sportive, si les deux formations, concernées chacune par un enjeu capital, rejouent après toutes les autres, en parfaite connaissance des résultats de leurs adversaires...Selon la même source proche du club au scapulaire, "toutes les vidéos concernant le match seront étudiées à tête reposée, et en fonction des élements réunis, le club décidera de porter plainte et se réservera le droit de faire appel s'il est condamné". De toute évidence, le club ne se considère pas comme responsable du comportement de cet excité. Et de poursuivre : "Il existe une jurisprudence très fluctuante en matière de jugement d'un comportement individuel. Mais cette issue n'est satisfaisante ni pour les Girondins, ni pour Rodez. Il faut une issue qui soit sportive, avec un match rejoué, et nous le signifierons lundi, en nous appuyant sur le film des évènements qui a conduit à cet incident, que nous condamnons évidemment, mais qui n'est pas clair pour nous, au moment où nous parlons. (NDLR : vendredi soir 2 juin). Par exemple, nous avons besoin de savoir qui a pris la décision d'arrêter le match, car nous ne le savons pas pour l'instant". Quant au règlement qui exigerait qu'à partir du moment ou un joueur est agressé, l'arbitre doit arrêter la rencontre, ce proche du club nuance le propos et rappelle que rien n'est automatique ni figé, et qu'il existe de nombreux aménagements.
Pau se sauve encore
Ce qui est certain en tout cas, c'est que, quelle que soit la décision de la commission de discipline ce lundi 5 juin, les deux premiers du classement ont fait le job, comme on pouvait raisonnablement le penser ou le craindre, et gagné tous deux à domicile (Le Havre 1-0 contre Dijon, Metz 3-2 contre Bastia). Leur classement final garde donc toute sa légitimité. De même en bas du tableau, pour Annecy qui, bien que battu au Paris FC (1-0) est maintenu avec 45 points tant que le résultat du RAF (qui menait au score et en comptait donc virtuellement 46) n'est pas entériné. Les grands gagnants de cette soirée funeste pour les Girondins sont le Pau FC qui a assuré le coup grâce à son buteur George contre Caen (1-0, coup de chapeau à Didier Tholot qui assure au plus petit budget de Ligue 2 un nouveau maintien à la force du poignet pour la 3e saison consécutive) et le promu Laval, qui a arraché son sésame par un but de Diaw à la...94e minute à Amiens (victoire 2-1).
[Christophe Monzie au Matmut Atlantique à Bordeaux, photos C.M.]
Réaction de Pierre HURMIC, Maire de Bordeaux.
Réaction de Gérard LOPEZ, président du FCGB et du directeur général délégué Thomas JACQUEMIER.
Réaction de Brandley DANGER, défenseur central et capitaine du R.A.F.
Réaction de Didier SANTINI, entraîneur du Rodez Aveyron Football.